Vouloir le bien et faire le mal
Peut-on faire le mal en voulant le bien ?
La sagesse populaire nous dit: "faire le mal c’est mal, et faire le bien c’est bien "… voilà qui parait clair, chacun peut choisir sans se tromper et sans être trompé ! Mais lorsque la volonté s’en mêle, l’équation se complique. En effet "vouloir le mal" (seulement le vouloir !) c’est déjà mal, alors que "vouloir le bien" ça n’est pas encore bien … il n’y a que le "faire le bien" qui soit bien ! Mais alors "faire le mal en voulant le bien" voilà qui, non seulement met à mal notre entendement en opposant les moyens à la fin, mais de plus vient ébranler la morale en acceptant de faire le mal ! Entendons-nous bien, il s’agit ici seulement (si je puis dire) de faire le mal et non pas de le vouloir car ce que l’on veut ici, tout en faisant le mal, c’est le bien, et d'ailleurs pourrait-on vouloir le mal et le bien en même temps ? Comment se fait-il donc que l’on puisse être amené à faire le mal sans le vouloir et de plus en voulant son contraire, le bien ? Faut-il en conclure que c’est dans la nature même de ce « vouloir le bien » que se trouve le mal lui-même ?
En effet l'histoire semble nous le confirmer. Le mal c’est banal disait déjà Hannah Arendt en analysant comment la mécanique nazie, cette mécanique du mal, s’était emballée. Le mal arrive sans que personne ne le veuille, il s’introduit par effraction en quelque sorte, insensiblement. Le mal, lorsqu’il vient, ne s’annonce pas, il avance masqué, assez malin pour se cacher sous le masque du bien. Il se cache précisément, dans ce « vouloir le bien » qui, quand à lui, se proclame, s’annonce … Lorsque l’on veut le bien on aime à le faire savoir, tant est si bien que, dans le "vouloir le bien", le "vouloir" prend le pas sur le "bien". Et précisément le "vouloir" lorsqu’il entre en action ne fait pas de quartier … partout ou passent, celui ou ceux qui "veulent", il ne reste généralement plus grand chose du bien qu’ils sont censés vouloir. La volonté ne fait généralement pas bon ménage avec la morale ! L’indifférence, la démission et la lâcheté des autres s’y ajoutant il n’est pas rare de voir ainsi au final le bien que l’on a tant voulu se laisser submergé par le mal … ce mal si banal dont le XXème siècle nous a tant donné d’exemples ; des exemples de révolution au nom du bien qui se sont terminées dans le mal absolu.
Si donc le "vouloir le bien" cache le mal, faut-il en conclure qu’il ne faut plus vouloir ?
Est-ce la volonté seule qui est en cause dans cette advenue du mal ? N’est-ce pas aussi et surtout cette envie d’absolu et de pureté que traduit l’expression "vouloir le bien" ?
Le bien en effet doit être pur pour être bien, il est un absolu. La moindre trace de mal dans le bien et ce dernier s’en trouve disqualifié. Une bonne action entachée d’une mauvaise n’est plus une bonne action ! Ainsi en voulant éradiquer la moindre trace de mal le bien en vient à éradiquer tous ceux qui selon lui produisent ces traces de mal ... éradiquer au nom du bien qui doit être absolu ! Ainsi la volonté d’absolu n'est-elle pas en définitive la voie la plus directe vers le mal ?
Dès lors si vouloir le bien peut conduire au mal, ne faut t-il pas se contenter de "résister au mal" ? A la volonté des grands soirs du bien absolu qui se réveilllent souvent en lendemains matins du mal radical ne faut-il pas plutôt préférer une volonté plus modérée mais non moins avisée qui, à la lumière du discernement, résiste sans faiblesse au mal de tous les jours ... à celui que nous rencontrons sur notre chemin comme à celui qui est en nous ...